Pourquoi Julian Assange est une figure historique cruciale
Chronique de la Place de la Toile du 26 octobre 2013
Parce qu’il a à peu près ton âge, Xavier, et qu’il y a au moins déjà quatre films ou documentaires qui lui sont consacrés ! Bon, je reconnais que c’est un peu court, comme réponse. Et puis la reconnaissance spectaculaire n’est certainement pas la reconnaissance historique. En fait, cette question correspond au titre d’un portrait consacré au co-fondateur de Wikileaks paru dans le New York Magazine le 11 octobre dernier : « L’état de Julian Assange » : une caricature, un mégalomane, un sujet irrésistible pour Hollywood. Et une figure historique cruciale...
Quatre films donc, le mettent en scène (et à l’observer, il a parfois l’air d’avoir toujours prévu que ce serait le cas), dont le dernier est sorti la semaine dernière aux Etats-Unis « The fifth estate », « Le cinquième pouvoir », produit par Dreamworks et distribué notamment par Disney... il s’agit d’un biopic, consacré à l’histoire de Wikileaks, basé notamment sur le bouquin d’un des confondateurs de l’organisation depuis brouillé avec Assange, qui va de sa création en Islande en 2006, jusqu’à la divulgation des câbles diplomatiques américains, en passant par « Collateral Murder », la célèbre vidéo-bavure de l’hélicopère Apache qui fit feu, dans une scène digne de call of duty, sur des civils et des journalistes à Bagdad en 2010, en passant par les warlogs d’Afghanistan et d’Irak. Je n’ai pas trouvé de fichier du film... aucun torrent, aucun stream. Wikileaks a par contre publié le script sur son site, assorti d’une longue note qui en pointe les incohérences – l’idée que Wikileaks aurait causé indirectement la mort par ses révélations, ou celle qui voudrait qu’Assange se blanchisse les cheveux... Ce mémo condamne en bloc la manœuvre de Dreamworks, pour discréditer le but – la réforme – et la méthode – la transparence – de l’organisation, et il réaffirme la nécessité de soutenir Chelsea Manning. Mais impossible de la voir en ligne pour l’heure.
Las, je me reporte donc sur le documentaire sorti cette année également : « We steal secrets », réalisé par Alex Gibney, documentaire très documenté, qui porte au moins autant sur l’ambivalent Assange que sur Manning, sans doute le vrai héros de l’histoire de Wikileaks, qui aura passé 3 années à l’isolement avant toute forme de procès, finalement condamné à 35 ans de prison, et dont les conversations avec Adrian Lamo, le type qui l’a balancé, montrent un être extrêmement sensible, dont le seul tort aura été, dans un moment d’extrême solitude, alors que les premières fuites rencontrent un fort écho international, de faire confiance, de se confier à cet ex-hacker médiatique. Alors Assange « idiot utile » dans toute cette histoire ? La conséquence de son hacktivisme aura été, écrit le NYMag, de créer une ambiance politique étrange... dans laquelle voir le monde par le prisme – sans jeu de mot NSA – des conspirations ne vous rend pas seulement parano, mais aussi conscient. Le fait est qu’Assange est moins un conspirationniste qu’un théoricien des conspirations.
A ce sujet, voir le contrefeu allumé là encore par Wikileaks pour contrer « The fifth estate », « Mediastan », c’est le nom de ce documentaire fascinant sur le 4e pouvoir, plutôt que le 5e c’est malin, qui nous emmène, avec des journalistes sympathisants de Wikileaks, dans des rédactions de médias afghans, kazakhs, kirghizes, turkmènes, en passant par une base militaire suédoise à Kaboul, sur des routes défoncées, on croise des ouvriers en grève de la faim, un fixeur afghan qui se propose de réceptionner les câbles diplomatiques qui concernent son pays, avant de renoncer par peur, lors d’une conversation Skype surréaliste avec Assange coincé dans l’ambassade équatorienne à Londres. On va comme ça jusqu’aux bureaux du Guardian et du New York Times... une des plus belles réflexions sur la liberté de la presse que j’ai vue depuis longtemps, la censure et l’autocensure.
A 1h13, on retrouve Assange, qui marche dans la nuit ... en pleine réflexion : « y aurait-il un changement si vous retiriez toutes les forces de défense d’un pays pendant 10 ans ? S’il n’y en a pas, vous pouvez dire que cette institution n’a aucun pouvoir. Prenez cette institution modèle, qui établit des valeurs, promeut des comportement : la presse, les médias. Ce 4e pouvoir est aujourd’hui contesté – par le 5e — il doit donc y avoir un changement dans cette institution... sinon cela veut dire qu’elle n’avait dès le départ, aucun pouvoir. »