Accueil > Blog > Regard rétrospectif

Facebook

Regard rétrospectif

66/14

Ai-je demandé à ma Facebook ma « look-back video » ?

C’est comme ça que Facebook l’appelle. Il me demande sûrement ça parce qu’il a entendu Sheryl Sandberg, la directrice du réseau social, se vanter du succès de l’opération, à l’occasion des dix ans de la plateforme ; Facebook — qui se porte bien, merci, numéro deux de la pub en ligne et mobile derrière Google, lui-même deuxième capitalisation boursière derrière Apple (la place de la toile est devenue une planète) — Facebook donc, qui a mis les ptits plats dans les grands, en proposant à ses membres de partager de courts clips vidéo d’une minute qui mettent en scène quelques éléments de leur profil (phrases et photos partagées) depuis leur inscription. Je n’ai pas encore regardé la mienne, mais j’ai lu Sheryl Sandberg, qui se disait très émue après avoir passé — et non pas perdu (ça aussi ça se mesure grâce à une application du Time [1]) — un long temps sur Facebook — mais c’est son travail — à regarder ces vidéos qui permettent de se sentir vraiment proche et de Facebook et de son propreentourage… : « Voilà une expérience très cool et personnelle, grâce à laquelle on a vraiment touché les gens, poursuit Mme Sandberg , je ne crois pas qu’on se soit montré aussi bon par le passé pour leur montrer ça, mais c’est vraiment ce sur quoi on veut insister en fait, donc attendez-nous davantage sur ce terrain à l’avenir. »

Bon donc je me lance, je suis connecté à mon compte, et je tape l’adresse : facebook.com/lookback ; et là, paf, rien à faire, la vidéo se déclenche automatiquement, avec cette bande-son sirupeuse... digne de la « cabane d’harmonie » de la famille Addams, lieu de toutes les punitions sirupeuses.

Bon mais la famille Addams, c’est pas le sujet, ni la famille Henneton d’ailleurs, je vais pas m’extasier quinze plombes sur ce clip compilé instantanément par un algorithme uniformisant, non plus.

Mais qu’est-ce que ça dit (sinon que je suis totalement réifié) ? Je disais à l’instant que pour ses dix ans Facebook avait mis « les ptits plats dans les grands », mais j’utilisais en fait l’expression dans un autre sens que le sien : non pas que Facebook a mis de la bouffe raffinée dans de jolis plats, mais des petites histoires dans la grande, des p’tits plats dans LE grand (il y a même cinquante façons possible de déterminer son genre désormais). Et c’est totalement logique, en fait, je réalise : quand on tient une position hégémonique, toute la difficulté consiste à se maintenir. Se maintenir implique d’occuper l’histoire, et quand on est un réseau social ça signifie occupe l’espace des petites histoires singulières, individuelles, autrement dit monopoliser les moyens numériques du récit de soi. En l’occurrence il faut inscrire les usagers dans le temps long, créer de la nostalgie (cf. philosophie expérimentale des réseaux), ce qui est assez paradoxal quand on sait que le fond de commerce de la plateforme c’est le temps réel, celui des enchères publicitaires, de l’actualisation permanente qui maintient l’attention captive.

Facebook, avec ses vidéos rétrospectives, souligne donc sans le dire, sa peur la plus aiguë, celle du web éphémère et anonyme : celui de 4chan, qui l’a précédé, ou celui, plus récent, de Snapchat, des plateformes où les photos et les conversations disparaissent aussitôt, relativement intraçables, des applications éphémères et anonymes que les adolescents semblent aujourd’hui privilégier au détriment de Facebook, ce truc de vieux, de parents, de surveillants.

J’ai donc demandé ma vidéo rétrospective et, grâce à elle, je me suis projeté — comme d’autres avec Google — dans un monde sans Facebook.

Chronique de la Place de la Toile du 8 mars 2014 dans laquelle Sylvie Tissot faisait son autobiographie numérique.

[1Autre application, au service de l’enquête sociologique : Algopol décrite .

Un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Ajouter un document