Eh bien parce que deux informations, une aux Etats-Unis, et une autre, plus anecdotique en France, se sont percutées cette semaine. Pas si anecdotique que ça en fait, je commence par l’information française, liée aux nouvelles offres 4G de SFR promettant un accès illimité à Youtube, c’est à dire un accès privilégié à un service plutôt qu’un autre : ça ne veut pas dire que les autres services seront injoignables, mais c’est tout de même un pas franchi vers une discrimination de l’accès aux contenus sur la Toile ; une direction qui pourrait mener à terme à ce que chacun, en fonction de l’abonnement qu’il paie, dispose d’un internet plutôt qu’un autre, avec des réseaux — et des services — facilement accessibles, et d’autres infréquentables (car ralentis). Pas si anecdotique que ça parce que SFR s’etait déjà illustré il y a quelques mois, en modifiant le code des pages web... pour alléger le trafic de son réseau 3G (un peu comme si on vous obligeait à démonter l’habitacle de votre voiture avant d’emprunter une autoroute).
Derrière le principe de neutralité d’Internet il y a donc évidemment la question de l’infrastructure, et de l’adaptation de cette infrastructure à la croissance exponentielle des données qui transitent par elle.
La neutralité, ce principe de l’Internet, principe récent hein, puisqu’on peut le dater de 2003, principe selon lequel le média — la « technologie » (technique et discours) Internet — doit être neutre, c’est-à-dire que les fournisseurs d’accès, la tuyauteurs qui donnent accès au réseau doivent traiter tout le trafic sans discriminer — une requête vers youtube, vers le monde-diplomatique.fr ou un site X est traitée exactement de la même façon, de manière chronologique, sans hiérarchiser, quand bien même ces requêtes n’auraient pas la même valeur. De fait, chaque requête est singulière via l’Internet, selon le protocole sollicité, s’il s’agit du Web selon le site visité, la taille de l’image à afficher, la distance plus ou moins grande du serveur qui la contient, la vitesse de connexion, l’état de la fibre ou du cuivre qui la transporte. Du coup c’est compliqué de parler de neutralité, de suggérer une absence de différence là où tout est différent et singulier. Mais c’est le principe du principe si j’ose dire : s’efforcer de traiter de manière égale le différent, c’est poser un idéal de justice, faire que le différent puisse s’exprimer toutes choses égales par ailleurs.
D’où l’importance de la deuxième information, le jugement d’une cour fédérale américaine qui a statué cette semaine en faveur de l’opérateur Verizon, qui s’opposait à la FCC, le régulateur américain, accusé d’outrepasser son droit en défendant ladite neutralité contre la volonté de Verizon de différencier ses offres d’accès à l’Internet.
Tout cela est compliqué à démêler, et ne se ramène pas à une simple opposition big business (evil) / big state (don’t be). Une image qui a beaucoup circulé résume bien l’enjeu : elle présente une grille tarifaire avec un accès limité pour la première offre la moins chère, avec laquelle on peut juste voir ses mails, rajoutez cinq euros pour l’accès aux moteurs de recherche google et compagnie, encore cinq pour les sites internationaux type BBC World, et encore 5 pour de la vidéo : Internet devenant comme la télé, avec des bouquets selon ses moyens.
On comprend pourquoi la Toile bruisse à nouveau de ce terme de neutralité donc — ça n’a pas changé : parce qu’elle a beaucoup à perdre de la dilution du principe de justice qui l’anime et des velléités régulatrices qu’elle suscite.