C’était quoi les débuts de YouTube ? Un truc d’amateurs, c’est sûr. Youtube, plateforme de vidéo bien connue, où l’on peut toujours poster ses propres vidéo (jusqu’en 2011 pas au-delà de 15mn, alors qu’aujourd’hui on trouve des films entiers), où l’on en regarde surtout désormais, où l’on interagit parfois. Mais plus comme avant, c’est sûr. Parce que tout fout le camp ? Parce que Google a racheté la plate-forme en 2006, soit un an et demi après sa création seulement ? Ce serait un peu facile d’accuser google de tous les maux en l’occurrence, ce n’est pas comme si Youtube était né dans un garage.
A l’initiative, en réalité, on retrouve plusieurs personnes déjà impliquées dans les débuts de Paypal, deux ingénieurs et un designer du service de paiement en ligne. C’est un truc très connu dans la Silicon Valley, le rôle soit de créateur soit d’investisseur joué par les anciens de Paypal dans le développement de nombreuses start-ups, de LinkedIn à Facebook en passant par SpaceX : on parle même de la Paypal mafia, je l’avais déjà évoquée ici. Si c’est plus comme avant, c’est pas parce que de gentils idéalistes se sont retrouvés happés par le grand capital donc, l’histoire de Youtube s’inscrit bien dans une certaine culture toute californienne de l’entreprenariat.
Quelques chiffres quand même. En 2009, Youtube c’était 11, 5 millions de visiteurs par jour, aujourd’hui c’est plus de 30 millions par jour. Mouais, pas très impressionnant. Mieux : aujourd’hui chaque minute, 100 heures de vidéo sont mises en ligne : ce qui nous fait — calculette — 100x60x24 : 144 000 heures de vidéo mises en ligne chaque jour... si je voulais toutes les voir, il me faudrait plus de 16 ans — 16 ans pour un jour. Tu m’étonnes que ça représente une telle part du trafic internet mondial (et la majeure partie du trafic du web) : Google dans son ensemble c’est 25% du trafic internet américain, pas de chiffre pour le monde entier.
Combien de datacenters en tout ? Difficile à dire... sachant que Google s’attache aussi les services de Content Delivery network pour raccourcir les distances entre contenus et usagers, c’est à dire que la firme noue des partenariat avec des fermes de serveurs partout dans le monde, fermes qu’elle ne possède pas en propre. Et puis ça suffit les chiffres. Et les amateurs dans tout ça, ont-ils joué un rôle dans ce développement fulgurant ? Je lis sur l’édition britannique de Wired un article intitulé « grandeur et décadence des pionniers de Youtube ». C’est en anglais, le site est assez original, je fais défiler le texte tandis qu’à droite se succède les vidéos de manière asynchrone... où se mettent en scène ces adeptes du blog vidéo ou vlog, dont certains connurent leur quart d’heure de célébrité au milieu des années 2000, au point d’y consacrer leur existence toute entière.
Ces amateurs se filmaient à bout de bras, ça tangue un peu, c’est plus ou moins vidéo gag, comme ce type qui met plein de mentos dans sa bouche avant de s’enfiler une rasade de coca pour voir si la réaction habituelle se produit – un mentos dans une bouteille de coca et c’est le geyser. Passons. Ces vloggers ont été les meilleurs promoteurs de la plate-forme, notamment ce plaidoyer délirant de Ian Crossland publié le 2 octobre 2006, soit... une semaine pile avant le rachat par Google : « Nous avons le pouvoir de changer le monde (…) Combien de temps avant que le peuple de Youtube n’en prenne conscience ? Changeons cette planète ensemble, commençons maintenant : laisser un commentaire et achetez vous une webcam ».
Ian a vite déchanté, il a vu arriver les partenariats officiels avec les majors et les grands médias, la publicité, bref le rouleau compresseur de l’industrie culturelle, il a vu Youtube retirer une de ses fonctionnalités chéries : la possibilité de répondre à une vidéo par une autre. Et, en 2012, Youtube abandonne le slogan « Broadcast yourself » – diffusez vous-même, soyez le média – ce qui acheva de plonger les pionniers interrogés par Wired dans une profonde détresse nostalgique. Mais nostalgie d’un âge d’or largement fantasmé, puisque ces prosélytes du « web 2.0 », comme on ne qualifie plus l’internet « participatif », s’étaient mis au service d’un plan de produit largement étudié.