Chronique de la Place de la toile du 10 novembre 2012 qui recevait aujourd’hui Tanguy Lohéac et Soufiane el Jamil, pour parler de l’accessibilité du web.
A quoi sert la touche inser ? Là je suis bien embêté parce que y a pas ça sur mon mac.
[soundcloud url="http://api.soundcloud.com/tracks/66945053" params="auto_play=false&show_artwork=true&color=7bc061" width="100%" height="166" iframe="true" /]
Â
Inser, bon bah insérer, j’imagine, « insert » en anglais, c’est pas sorcier, ça doit servir à remplir des trucs. Inser, inser. Ahhh mais oui bien sûr. Cette abomination.
Pris dans la rédaction d’une dissertation cruciale, je me souviens lever les yeux et constater l’horreur : la phrase que je voulais insérer au milieu d’un paragraphe avait effacé toute la fin du paragraphe en question. Chaque fois que je tapais une lettre, ça en mangeait une autre. Et comme je regardais pas toujours l’écran, je me rendais pas compte. C’est un souvenir assez difficile.
Mais je reviens à mon clavier… D’où viens-tu touche INSER, ou INS ou I ? A lire l’historique de Wikipédia, tu naîs en 1986 sur le clavier étendu d’IBM, qui s’est imposé depuis comme le clavier standard, avec 101 touches pour la version américaine, et 102 pour la version européenne (oui nous on a le droit aux petites flèches en bas à gauche… les symboles plus grand que / plus petit que des maths). Cette touche, les Américains n’y ont pas droit, bizarre. 1986, c’est aussi vieux que moi. Je réalise pas suffisamment combien je tape sur de l’histoire en ce moment, sur mon histoire. Bon ok donc la touche INSER permet de passer du mode insertion, qui permet comme son nom l’indique d’insérer des lettres au milieu d’un mot, du mode inser donc au mode refrappe ; l’exemple de wikipedia parle de lui-même : en mode inser, si je clique au milieu du mot chameau je peux rajouter lu par exemple, ça donnera chalumeau ; maintenant si je bascule en mode refrappe, et que je tente la même chose, ça écrira chaluau, en mangeant le m et le e du chat. Je me comprends. Enfin je comprends surtout que je me trompe de cible. La fonction INSER m’est très utile en réalité ; ce que je maudis, c’est la bascule en fonction REFRAPPE lorsque je presse cette touche involontairement. Donc je maudis la touche, mais pas la fonction, soyons clairs : ce qui est énervant, c’est de chercher à s’insérer, et de se faire frapper et refrapper.
Y a des centaines de discussions de forums qui s’interrogent sur cette touche, qui indiquent comme la reprogrammer pour qu’elle permette d’autres choses. Et des types qui t’expliquent qu’avant, quand y avait pas la souris et qu’il fallait taper des lignes de codes, la touche INSER était vachement utile ; Voilà donc un vestige d’un âge informatique passé, lorsque l’ordinateur n’était pas encore ce petit animal domestique dont on ne sait rien… Le clavier c’est donc une belle occasion de réminiscences, au pluriel, c’est l’occasion de déterrer des fonctions enfouies et oubliées, de faire la généalogie de la rationalité informatique… et se rendre compte qu’elle est loin d’être sui generis.
Oui, car la rationalité du clavier d’ordinateur est directement héritée de la machine à écrire à la fin du 19e ; la disposition QWERTY ou AZERTY des lettres sur le clavier, c’est pas la plus rationnelle du point du vue du langage, c’est la plus rationnelle du point de vue de la machine à écrire : il s’agissait alors d’éviter que deux lettres souvent accolées l’une à l’autre entraînent un croisement des tiges et des marteaux de la machine, et finissent par la bloquer [ou bien : regardez un clavier QWERTY, il y a de quoi composer TYPEWRITER avec la première ligne de lettres ; unique motivation me dit-on sur twitter, mais ce n’est pas avéré]
@thibnton De fait, repository.kulib.kyoto-u.ac.jp/dspace/bitstre… page 12 va jusqu’à infirmer la légende
— Arezki Feth (@FFeth) Novembre 11, 2012
Où on lit donc p. 12 :
Prof. Paul Allan David of Stanford University extended the legend to be fit to his theory “the economics of QWERTY” as follows :[24]
Marketing considerations also may have played some role in Jenne and Clough’s final keyboard shuffles ; it has been suggested that the main advantage of putting the R into QWERTY was that it thereby gathered into one row all the letters which a salesman would need, to impress customers by rapidly pecking out the brand name : TYPE WRITER.
The extended legend was instantly quoted by Prof. Stephen Jay Gould of Harvard University and then spread all over the world.[25, 26] In fact the brand name, however, had been decided as “Sholes & Glidden Type-Writer” before Jenne and Clough exchanged R with period. Why wasn’t SHOLES on one row ? How about GLIDDEN ? Where was the hyphen between TYPE and WRITER ? Furthermore, as described in Section 2, sales demonstration of Type-Writer was done by receiving Morse telegraph or by dictation. We don’t believe that it was enough for impressing customers to peck out TYPE WRITER rapidly.
Si je résume, la touche INSER est un vestige, une sorte d’ouverture à portée de doigts sur l’histoire technologique. Et en m’enfonçant dans cette histoire, j’ai compris pourquoi on compare parfois le clavier à une arme. Dans les deux cas on retrouve le nom de Remington, industriel américain qui popularisa, fin 19, le QWERTY ET le FUSIL. Mais c’est une autre histoire.