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Trop, trop vite

FOMO

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Chronique de la « Place de la toile » du 14 décembre 2013 sur le Bitcoin.

FOMO est un acronyme qui signifie « fear of missing out » – peur de rater quelque chose. Cette peur est à distinguer d’une autre, la peur de manquer, car la « peur du manque » renvoie à une absence, une situation de pénurie, alors que la « peur de rater » renvoie plutôt à un trop plein, une abondance. Cette peur de rater n’est bien sûr pas née avec les réseaux, mais ces derniers lui donnent une nouvelle ampleur, par l’abondance des informations et conversations qui y circulent.

Vais rapidement voir sur Wikipedia, une seule page en anglais, courte, pour FOMO, dont la première référence est un article de 2011, lequel attribue la paternité de l’acronyme au New York Times et évoque le livre de Sherry Turkle, Alone Together : seul ensemble. Cet acronyme est donc une manière de spécifier cette peur de rater, et de la lier aux nouvelles technologies, en même temps qu’à l’individualisme contemporain. Penser la FOMO, c’est penser des problèmes tout à fait décisifs, c’est penser la « sourde bataille pour le temps de nos sociétés malades de la vitesse », pour reprendre le titre d’un article.

La peur de rater s’exprime dans ce besoin qui parfois m’étreint, de TOUT lire, de reparcourir systématiquement les dernières vingt-quatre heures de mes différents flux d’informations, ou de parvenir au « zéro mail » dans mes différentes boîtes, tout en sachant la tâche sinon impossible, du moins perpétuelle. J’ai développé une aptitude à la lecture rapide, au scan, au balayage. Problème, ce balayage très rapide doit aussi savoir trier le bon grain de l’ivraie, l’alerte à propos de l’article 13 de la Loi de programmation militaire par exemple, du dernier clip pornographique de Rihanna.

Cette peur de rater se combine à une sorte d’obsession pour l’exhaustivité... du latin exhaurire : être épuisé, être abouti. Elle fait de moi une sorte de Sisyphe, recommençant chaque jour l’impossible tâche, veillant, lisant, classant, sans espoir d’y mettre un terme jamais, sans même savoir exactement à quelle fin je l’accomplis ?! (Là j’exagère, parce que veiller, chercher des informations, c’est un peu ce que je fais contre salaire, donc je suis un cas un peu à part certes, mais quand même) Pourquoi ?! J’ai peur de rater quoi au juste ? Secrètement, sans doute, j’ai peur de rater le tournant, le déclic, la grande bascule dans le nouveau. Mais aussi peur de rater des trucs intéressants, qui ne manquent pas.

Alors je reste suspendu à ma « petite radio textuelle » (© François Bon), mon fil twitter, comme jeudi dernier, à observer des journalistes du Monde se prendre le bec avec un des créateurs de Courrier international à propos du classement de l’info sur lemonde.fr... J’hésite à intervenir dans la discussion, ne serait-ce que pour leur dire qu’on s’en fout, que de toute façon l’article le plus partagé sur le monde.fr, jeudi matin, c’est celui sur la « quenelle », pas l’aliment hein, le geste... J’hésite, mais je me retiens.

Je comprends alors que la peur de rater se nourrit d’elle-même, que je me retrouve pris au jeu qui me tue, qui m’éloigne de mes proches, du collectif, de lectures plus approfondies aussi, voire de l’écriture d’une architectonique carrément. Comme l’écrit le romancier Rolf Dobelli dans un article que je retrouve dans mon archive personnelle – comme quoi ce n’est pas que néfaste, de veiller/classer – la bataille fondamentale du temps présent est la suivante : c’est celle « du pertinent contre le nouveau ».

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