Chronique de la Place de la toile du 9 novembre 2013, « Affaire Snowden, et après ? »
Pourquoi la plateforme flottante de Google fait-elle tant fantasmer ? [soundcloud url="https://api.soundcloud.com/tracks/119621154" width="100%" height="166" iframe="true" /]
Ah... les barges de Google... enfin les barges, je parle des barges des berges, de bateaux sans moteur à fond plat, pas desdingues employés par Google... un véritable serpent de mer cette histoire... Qui a refait surface ces dernières semaines, avec l’apparition d’une nouvelle barge, dans la baie de San Francisco, une plateforme flottante contenant des conteneurs... qui pourraient eux-mêmes abriter un datacenter – c’est à dire une ferme de serveurs reliés par des câbles à d’autres fermes, qui ont chacune des fonctions différentes, et qui, de liens en liens, nous relient les uns aux autres, et tous à google.
Je dis refais surface, parce que dès 2008, un article de Zdnet évoquait un brevet, déposé par la multinationale, brevet pour des datacenters flottants, situés à un maximum de 10kms des côtes, lesquels profiteraient ainsi de l’énergie des vagues ou du vent et du mouvement des marées pour les alimenter et de l’eau pour refroidir les serveurs... [OVH pratique déjà le refroidissement par eau (voire à l’éthanol) dans ses datacenters, mais sur terre] ils seraient plus sécurisés aussi, plus difficiles d’accès, moins sensibles aux incendies et aux tremblements de terre. Bon ce n’est pas si simple, parce qu’il faut tout de même être câblé en sous-marin.
Pourquoi ça fait tant fantasmer ? Parce que la question des datacenters est de plus en plus cruciale, vu les enjeux économiques et politiques qu’engagent les données, et de plus en plus nimbée de secret aussi... Parce que l’idée d’une plateforme aquatique, c’est le rêve d’une zone d’autonomie temporaire pour reprendre le concept cyberpunk d’Hakim Bey... Pour être une TAZ, il faudrait cependant que ces datacenters soient situés au-delà des eaux territoriales où s’étend la souveraineté d’un état, soit... 22kms environ. Donc ce ne serait a priori pas le cas des barges de Google, même si évidemment, ça faciliterait quand même quelques trucs, à commencer par les permis de construire.
Par contre, ça sera le cas de Blueseed... un bateau incubateur de startups comme on dit quand on est déjà un peu contaminé par l’idéologie californienne. Un bateau qui entend accueillir les entrepreneurs du monde entier pour plancher sur la prochaine innovation disruptive... sans avoir besoin d’un visa de séjour sur le sol américain. Bon, mais la sélection n’en sera pas moins draconienne.
Un datacenter flottant, c’est donc la promesse d’une certaine autonomie, ça renvoie à ces Etats indépendants comme Sealand, micronation au large des côtes de la Grande-Bretagne, quatre piliers en béton surmontés d’une plaque en métal, avec son propre drapeau, sa propre monnaie et sa famille royale... (The Pirate Bay, le célèbre site de téléchargement, avait je crois le projet de s’y installer). Ca renvoie aussi à Shivering Sands, plate-forme militaire posée au large de l’embouchure de la Tamise, qui émettait de la musique pop dans les années 60... racontée dans le livre La mort d’un pirate d’Adrian Johns. Et puis Waterworld bien sûr ! ce film de 1995 qui m’a beaucoup marqué, pas seulement pour sa scène d’ouverture qui voit Kevin Costner boire sa propre urine, mais parce qu’il met en scène l’humanité réfugiée sur des atolls artificiels après que les surfaces terrestres ont été immergées suite au réchauffement climatique. Et puis il y a aussi l’île de Water Seven, dans (le manga) One Piece, une sorte d’extrapolation de Venise en cathédrale aquatique... Mais j’arrête les références.
Pour certains, ces centres de donnés connectés extra-territoriaux seraient surtout l’occasion d’optimisation fiscale... Sur Reddit, j’ai trouvé évidemment des gens pour émettre une hypothèse plus retorse : et si ces centres de données étaient construits pour que la NSA puisse y piocher tout en échappant à l’interdiction de surveillance des communications domestiques ?! Aux dernières nouvelles, ces plateformes aquatiques devraient surtout servir d’espaces d’exposition pour Google... pour présenter, détailler et pourquoi pas vendre ses derniers produits. Voilà donc un fantasme qui retombe comme un soufflé mal cuit.