Depuis le temps que j’en parle... Très souvent à ce micro, je fais référence à des liens, des informations ou des conversations tirés de ce site ; très souvent dans mes conversations tout court, à vrai dire, j’y fais référence, trop sans doute, je suis moqué pour ça... Mais je m’en fiche. Parce que SeenThis représente quelque chose de plus grand que SeenThis. Heureusement d’ailleurs, parce qu’avec 200 auteur•e•s actifs sur environ 2 000 enregistré•e•s, le phénomène n’est pas tout à fait massif. Et puis simonleslilas m’a demandé.
SeenThis donc, VuÇa en français, est un site — au code ouvert et en licence libre — qui je cite « permet de tenir à jour un blog personnel constitué de billets courts » — mais sans qu’il y ait pour autant de limite de caractères ; « principalement destiné à la veille d’actualité, à la recommandation de liens entre pairs. » Le site « est associé à un système de forums publics » : autrement dit il ne s’agit pas seulement d’un site, mais aussi, mais dans un deuxième temps seulement, d’un réseau, social : on y commente l’actualité — politique, géopolitique, technologique, les oppressions (de classe, de race, de genre) surtout ; le sujet drone par exemple est particulièrement documenté. On y partage aussi des choses belles et drôles, des images, des vidéos, des sons — qui sont tous lisibles depuis le site (c’est-à-dire que si je copie-colle un lien vers Youtube, ou vers un .mp3, un lecteur apparaît, je n’ai qu’à cliquer sur « lecture » (chose impossible sur Facebook par exemple, qui a retiré cette possibilité pour les .mp3 je ne sais quand)) ; si je copie un GIF, l’image se met aussitôt en mouvement, etc. Et puis ce n’est pas né nulle part, mais dans la continuité d’une certaine histoire du Web.
« Veille d’actualité »... j’entends une voix me dire : « non mais et puis quoi encore... la barbe, pas que ça à faire, c’est un outil pour les journalistes ce machin, moi je suis pas journaliste, okay ? » Mais... la veille c’est pas qu’un truc réservé aux professionnels de l’info, si ? Surtout quand on est très critique des médias, et manifestement on est très nombreux à l’être, puisque parmi les professions les plus détestées il y a celle de journaliste. On devrait donc être super heureux de disposer d’un outil de tri, de sélection et d’organisation de l’information, qui permette de se fabriquer un média à sa sauce, en piochant ça et là, non ? Au lieu de critiquer sans rien faire ni proposer, voilà de quoi être positivement critique !
« Ok ok, reprend la petite voix, mais y a Facebook pour ça ! Mes amis y sont tous, et quand je partage un truc y a qu’eux qui le voient... Et, pour être tout à fait honnête, la plupart du temps, quand je partage une info, c’est plus leur réaction que l’information en elle-même qui m’intéresse. » Désespérant ! Je te demande pas de renoncer à tes amis, ni au divertissement, loin de moi l’idée de jouer les pisse-froids. Mais en partageant des choses sur Facebook tu es « rivé au piquet de l’instant », captif du temps réel — et pas si réel que ça, puisque le flux d’informations qui s’affiche est construit par des algorithmes personnalisés : ce qui s’affiche c’est le produit de plus en plus sophistiqué d’une formule qui t’a pris TOI pour critère, toi et tes penchants. Le problème c’est que tout ce qui privilégie le temps réel pour lui-même a généralement un intérêt immédiat à le faire... et le plus évident de ces intérêts immédiats, c’est la publicité, c’est-à-dire le bourrage de mou. Avec SeenThis je bascule dans l’autre camp, celui de l’archive, de l’élaboration patiente, du reviens-y (pas que pour les dernières actualités).
Je ne suis pas du tout en train de prêcher pour la slow navigation comme il y a la slow food etc. : on peut tout à fait être lent tout en étant rivé à l’instant et rapide tout en ayant beaucoup de perspective historique. Le problème n’est pas là. SeenThis représente quelque chose de plus grand que Seenthis parce qu’il nous inscrit dans un autre rapport au temps, une sorte de « civilisation du temps libéré », un lieu propice à la réflexion croisée de la technique et du politique. Au risque de l’entre soi et de l’assèchement collectif (cf. le début de discussion entre Mona et Hubert) ? J’aurais donc troqué le piquet de l’instant pour mon propre nombril ? La personnalisation est bien plus pernicieuse dans la moindre des requêtes Google. Qui plus est je ne compte pas sur un site, fut-il l’auxiliaire précieux de ma réflexion, pour me soulager de la nécessité de penser contre moi-même.
« A ce stade », plus besoin de le dire mais quand même : seenthis, c’est bon, mangez-en.
NB. Pour la copie locale et la décentralisation ; et pour une sélection tous les matins à 7h36 dans la boîte aux lettres.
Vos commentaires
# Le 24 mars 2014 à 16:05, par Stéphane Bortzmeyer En réponse à : Curieuse notion...
Que celle de « parasite » inventée par @Martin. Si je lis une « timeline » Twitter, je clique une seule fois (mais Twitter réécrit les liens pour qu’on passe obligatoirement par leur redirecteur, pour que la NSA sache où j’ai cliqué). Si, au lieu de Twitter, j’utilise SeenThis, je clique également une et une seule fois (mais, cette fois, pas de redirecteur). Donc, je ne vois pas d’où vient cette curieuse idée de « deux clics ».
Par ailleurs, SeenThis ne contient pas que l’URL mais aussi une présentation, des opinions, une discussion...
# Le 7 avril 2014 à 15:18, par tbn En réponse à : Au fait, c’est quoi SeenThis ?
Oui, la conversation ! (je teste les réponses en même temps).
Répondre à ce message
# Le 24 mars 2014 à 10:46, par Martin En réponse à : Au fait, c’est quoi SeenThis ?
Je comprends votre point de vue, cependant du point de vue de l’utilisateur, SeenThis est comme ScoopIt, un parasite qui oblige les internautes à cliquer un fois de plus... je préfère de loin un lien direct vers l’article et je ne pense pas être le seul...
Bonne continuation
Martin
Répondre à ce message
# Le 24 mars 2014 à 14:56, par Jean-Marc Liotier En réponse à : Parasite ?
@Martin : parasite qui oblige les internautes à cliquer un fois de plus ? Mais sans un lieu où le lien est posté, comment le trouver ? La découverte sociale ne peut pas avoir lieu sans un substrat - il n’y a évidemment pas que Seenthis, mais Seenthis a un bon rapport signal-bruit dans certains domaines.
Répondre à ce message